Drame de Benfeld : l’État abandonne ses enfants les plus vulnérables

URC Alsace

Le 24 septembre, une enseignante du collège Robert Schuman de Benfeld a été agressée au couteau par un élève de 14 ans, qui a ensuite retourné l’arme contre lui. L’adolescent est décédé ce dimanche des suites de ses blessures.

Nous exprimons notre solidarité pleine et entière avec l’enseignante blessée, l’ensemble du personnel de l’établissement, les élèves et leurs familles face à ce drame.

On ne peut pas ignorer la répétition d’attaques contre les personnels de l’Éducation nationale après le meurtre de Mélanie Grapinet, assistante d’éducation en collège. Chaque fois, c’est la politique de destruction des services publics menée par l’État qui met en danger ses propres agents : elle les laisse travailler dans des conditions dégradées, au point qu’ils deviennent réceptacles de la violence qu’engendre le dépouillement des services publics.

Si le geste de cet enfant est inexcusable, il est nécessaire d’aller au-delà de l’émotion légitime pour comprendre les mécanismes structurels qui ont rendu possible cette tragédie, et agir pour les prévenir.

Un parcours marqué par les violences et les défaillances institutionnelles

Comment un enfant de 14 ans a-t-il pu développer une telle violence et une fascination pour le Troisième Reich avant de mettre fin à ses jours ? Son parcours révèle l’ampleur de l’abandon institutionnel :

  • Un enfant placé, victime de violences : Après un passage dans une famille d’accueil maltraitante (l’assistante familiale a été condamnée par la justice en 2024), il avait été déplacé en foyer ASE (Aide Sociale à l’Enfance).
  • Un handicap psychique qui fragilise : Handicapé psychique et porteur d’une maladie génétique, cet enfant cumulait les vulnérabilités. Près d’un enfant placé sur deux présente des troubles psychiques, pour lesquels l’ASE est incapable d’assurer une prise en charge suivie et adaptée.
  • Des signaux d’alarme négligés : Sa fascination pour les armes et le nazisme avait déjà été sanctionnée par une exclusion temporaire, un signalement avait été transmis au procureur. Comme de très nombreux signalements, celui-ci n’a de toute évidence pas été suffisamment pris au sérieux.

Un système de santé mentale défaillant

Dans un contexte où la moitié des postes de médecine scolaire sont vacants et où l’on compte un psychologue pour 1500 élèves, comment espérer pouvoir détecter et accompagner les enfants en souffrance ?

Alors que les coupes budgétaires à répétition ont réduit l’Éducation nationale à un désert médical, les signaux d’alarme sont négligés, les réponses se limitent aux sanctions disciplinaires, les enfants les plus vulnérables sombrent dans l’isolement.

L’abandon systémique des enfants placés

Ce drame révèle plus largement l’abandon social des enfants placés, qui prend plusieurs formes :

  • Des violences institutionnelles : En avril dernier, la commission parlementaire d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance a documenté « l’existence d’une violence institutionnelle au sein de l’ASE », des « défaillances du contrôle de probité des personnes chargées de protéger les enfants » et des « conditions indignes et inadaptées ».

Dans un contexte de manque chronique de personnel et de saturation des structures (en Alsace, plus de 200 enfants sont encore en attente d’une mesure de placement), les maltraitances (négligences, violences physiques, psychologiques et sexuelles) en foyer et en famille d’accueil persistent.

L’appel au bénévolat privé, à l’image de l’Accueil Solidaire Alternatif (ASA) lancé l’an dernier par la Collectivité européenne d’Alsace, est un aveu d’échec des institutions publiques et ne garantit guère la disparition des violences à l’encontre des enfants placés.

  • Un accompagnement qui s’arrête brutalement : L’arrêt de l’accompagnement à la majorité place ces jeunes dans une situation d’extrême précarité. Un sixième des enfants placés se retrouve sans domicile fixe à leur sortie de l’ASE, quand d’autres sont relégués dans des hôtels.
  • Des conséquences durables : Privés d’un cadre sécurisant et d’un accompagnement dans la construction de leur projet de vie, les anciens enfants placés sont surreprésentés dans les prisons et les services psychiatriques. C’est le résultat d’une enfance marquée par les violences, l’instabilité et l’abandon institutionnel.

Nos revendications

Pour en finir avec des décennies de carences structurelles, l’URC Alsace exige :

  • Un investissement massif dans la protection de l’enfance : structures ASE renforcées, personnel qualifié, contrôles renforcés des familles d’accueil et des foyers.
  • Un plan d’urgence pour la santé mentale des enfants : dépassement des seules mesures disciplinaires, accompagnement psychologique adapté, dépistage et suivi des troubles repérés.
  • Une politique de prévention globale des violences faites aux mineurs : la protection des enfants ne doit pas être soumise aux considérations budgétaires mais répondre aux besoins réels.

Une responsabilité politique majeure

Le contraste est saisissant : tandis que des milliards sont débloqués pour la guerre et pour renforcer l’arsenal répressif, l’État laisse les enfants les plus vulnérables sans protection, sans soins et sans avenir. La mort de la petite Ayden à Tahiti en mai dernier aurait déjà dû faire tirer la sonnette d’alarme, mais l’État a choisi de persister dans son inaction.

Tant que les logiques d’austérité guideront les politiques publiques, la protection de l’enfance restera une variable d’ajustement budgétaire, et des drames comme celui de Benfeld se reproduiront.

Protéger ces enfants n’est pas seulement un devoir moral : c’est une nécessité politique pour l’ensemble de la société. Seule une transformation profonde de nos priorités collectives, libérées des logiques de profit, peut garantir aux enfants un avenir à l’abri des violences et de l’abandon.

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