Article issu du Manifeste n°31

Voilà des années que la « rentrée sociale » après les congés d’été n’avait été marquée par des mobilisations sociales aussi importantes, avec en 3 semaines, les grèves et manifestations réussies du 10 septembre, puis du 18 septembre (qui renouait avec les grandes dates de 2023), enfin à un degré moindre, du 02 octobre. Celui qui a mis pour ainsi dire le feu aux poudres, c’est Bayrou quand il a présenté le 15 juillet son plan pluriannuel pour « rééquilibrer les comptes publics » avec l’objectif de réaliser 43,8 milliards d’économies, et avec ces quelques annonces choc comme la suppression de 2 jours fériés, une année 2026 « blanche » pour les prestations sociales et les retraites, ou encore un « effort » de 5 milliards d’euros sur les dépenses de santé.
C’est dans ce contexte qu’a explosé au grand jour un mouvement né d’abord sur les réseaux sociaux appelant à une journée de blocage généralisé contre le projet de budget Bayrou le 10 septembre. Alimentant tout le mois d’août la chronique politique, le mouvement était soutenu par 63% des Français [enquête d’Harris Interactive pour RTL – 22 août 2025], montrant une véritable colère populaire, forçant toutes les forces politiques et syndicales à se positionner. La CGT, en dépit de l’appel lancé relativement tôt par certaines de ses structures plus clairvoyantes, a tardé à se prononcer, sous prétexte – comme à l’époque des Gilets Jaunes – d’éléments d’extrême-droite parmi les soutiens initiaux du mouvement, ou de mots d’ordre considérés comme « peu clairs », et fondamentalement, parce que la direction Binet est empêtrée dans une conception dite du « syndicalisme rassemblé » qui la pousse à discuter toujours préalablement avec la CFDT avant d’agir. Le PCF était empêtré dans les mêmes hésitations, ajoutant à la panoplie des prétextes le fait que LFI – qualifiée de « populiste » – avait assez rapidement appelé au 10.
Ce qu’est et ce que signifie le mouvement « Bloquons Tout »
Fin août, une enquête de la Fondation Jean Jaurès a montré qui étaient les participants qui se réunissaient en assemblées générales de plus en plus fournies pour préparer le 10 septembre : loin des peurs agitées par certains au PCF ou à la CGT, loin aussi des profils hétérogènes des Gilets Jaunes de 2018, il s’agissait ici en 2025 plutôt de personnes qui se reconnaissent dans la « gauche radicale », surtout des jeunes, appartenant à des catégories socio-professionnelles plus diplômées, avec une forte présence dans les villes moyennes.
Ce profil-type est au fond le profil d’un secteur de la population qui est peu ou pas syndiquée, c’est-à-dire peu ou pas encadrée par les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier. Pour rappel, le taux de syndicalisation chez les moins de 30 ans n’est que de 2,7% : d’une part bien sûr parce qu’on rentre de plus en plus tard sur le marché du travail, mais surtout l’accès à la stabilité qu’offre un CDI est tardive ; d’autre part l’éclatement des collectifs de travail avec la diminution des grosses concentrations de salariés [seuls 30% des salariés travaillent dans des grandes entreprises] rend plus difficile la socialisation par le syndicalisme d’entreprise. Enfin, la bureaucratisation des organisations syndicales, y compris de la CGT, qui est un phénomène lié à la « professionnalisation » de délégués en nombre réduits qui se coupent de leur base, doublé du développement du réformisme qui pousse à ne revendiquer que « l’acceptable » et à ne s’intéresser qu’aux couches les plus stables du salariat, tout cela pousse et poussera demain encore au développement de mouvements sociaux hors du cadre syndical, poussé notamment par la jeunesse. La France finalement, avec le mouvement « Bloquons tout » qui continue à perdurer 2 mois après, en se réinventant et en se coordonnant à l’échelle du territoire national, connaît en quelque sort son mouvement « Gen Z », comme au Maroc, comme à Madagascar, comme en Indonésie avant ; et il n’est pas innocent que le drapeau pirate de One Piece – symbole contestataire depuis cet été de la « Génération Z » (les 18-30 ans) – ait fait son apparition dans les manifestations en France. Les révolutionnaires communistes doivent tenir compte de cette donne et toujours travailler à unir les segments de la classe travailleuse et de la jeunesse qui parfois se tournent le dos.
Quand l’intersyndicale entre en guerre… l’arme au pied, et les yeux braqués sur le parlement
Quand la CGT, poussée donc par sa base, a fini le 27 août à appeler au 10 septembre, cela a donné une autre dimension au 10 septembre, même si dans nombre d’endroits en France, cette CGT n’a fait qu’accompagner le mouvement, sans véritablement mobiliser…. puisqu’il s’agissait déjà de préparer la « mobilisation intersyndicale » du 18 septembre, annoncée dès le 03 septembre (!), ce qui poussa des équipes militantes à faire le choix du 18 au détriment du 10. Par ailleurs, la force du 10 septembre était déjà un peu émoussée par le refus majoritaire de l’Assemblée nationale, le 8 septembre, d’accorder la « confiance » à François Bayrou, ce qui signifiait le renversement du gouvernement et donc la démission du 1er ministre. Objectivement, il s’agissait là, avec cette chute de Bayrou d’une 1er acquis à inscrire aux résultats de la mobilisation montante autour du 10 septembre, mais une « victoire » qu’il faut analyser dialectiquement comme un cadeau offert par Macron aux manifestants pour mieux préparer la séquence politique suivante, celle à laquelle nous assistons, à savoir l’alliance du macronisme et de la social-démocratie, l’alliance Lecornu-Faure.
En effet, Bayrou était allé trop loin (exemple des 2 jours fériés en moins qui avaient cristallisés la colère), il était lui-même fortement décrédibilisé (affaire Betharam), il fallait le sacrifier, ce qui était acté dès le 25 août et l’annonce du vote de confiance, qui paraissait suicidaire aux yeux de tous les observateurs… mais c’était pour mieux préparer Lecornu et sa volonté de bâtir une « grande coalition » centrale : Macron n’a pas changé son objectif depuis la dissolution de juin 2024, à savoir briser la coalition de gauche (NFP) et finir par contraindre le PS à être à nouveau « raisonnable » et à s’entendre, non pas avec LFI, mais avec les macronistes.
Le 18 est intervenu dans ce contexte « d’entre-deux » : un Lecornu 1er Ministre qui cherchait à composer son gouvernement. Le 18 a été une grosse réussite, elle était l’expression d’une colère généralisée, d’une volonté de ne pas se contenter de la démission de Bayrou mais de gagner sur le budget… tout en étant dans le même temps limitée par le cadre de l’appel qui s’annonçait davantage comme un « coup de semonce » sans suite, ce qui sera confirmé par le pétard mouillé de « l’ultimatum » lancé par l’intersyndicale, lequel se traduira par la perte d’une semaine avant d’annoncer finalement le 24 septembre au soir une nouvelle journée d’action le 02 octobre, perçue comme une « grève saute-mouton » sans aucune stratégie de lutte.
L’attentisme au service du macronisme
Si l’intersyndicale, menée par la CFDT, devait tout de même donner le change après un 18 septembre réussi, il était clair qu’elle était dans la stratégie de canaliser la colère populaire qui s’était exprimée depuis l’été en reprenant la main et de gagner des concessions limitées par la négociation, ce qu’a montré la séquence politique au lendemain de ce 02 octobre en demi-teinte.
Le 05 octobre, Lecornu 1 a enfin un gouvernement nommé ; le 06, il démissionne, face à l’intransigeance de Retailleau mais Lecornu reste « missionné » afin de trouver une ultime solution qui éviterait une dissolution. Dès lors, la stratégie macroniste peut se déployer : le 10 Lecornu 2 est renommé, le 12 il a un gouvernement, le 14 il fait sa déclaration de politique générale devant le Parlement, dans laquelle il annonce une « suspension » de la réforme des retraites, le 16 octobre il fait face à une motion de censure qui n’est pas votée par le PS qui lui sauve la mise.
La CFDT est sur la même longueur d’onde que le PS. Elle crie « victoire » à ce jeu de dupe qu’est la soi-disant « suspension » de la réforme des retraites qui n’est qu’un décalage d’un an de son application ; et au nom de cela, elle enterre toute poursuite de mobilisation contre un budget de régression généralisée. La direction Binet de la CGT râle, mais suit, refusant de s’extraire de la stratégie mortifère visant à suivre la CFDT, c’est-à-dire in fine le PS et sa stratégie de négociations budgétaires avec Lecornu.
Le 6 novembre n’a été appelé que par les organisations de retraités, rejoints toutefois par certains secteurs combatifs de la CGT, à l’image de la FNIC-CGT, Fédération de la Chimie, qui a lancé un appel, dès le 17 octobre, à se saisir de cette date du 6 novembre comme point d’appui pour tenter de poursuivre une mobilisation pourtant nécessaire et vitale ! Dans leur appel, ils pointaient notamment la nécessité de combattre pour la remise en cause globale de la réforme des retraites et pour le retour à la retraite à 60 ans. Nos adversaires sont fébriles ! C’est le moment d’entrer dans l’action, avec tout notre cahier revendicatif. Heureusement que des secteurs ouvriers d’avant-garde continuent à nous montrer la voie ! A nous de renforcer ces secteurs combatifs et de porter, patiemment, l’ensemble de notre classe à la hauteur des besoins de l’époque.
