Supplément du Manifeste · octobre 2025
Si à son apogée dans les années 1970, l’emploi industriel représentait 26% de l’emploi salarié total (avec près de 6 millions de salariés), une saignée majeure s’opère en 30 ans, avec la perte de plus de 2 millions d’emplois à la fin des années 2000. En 1980, l’emploi industriel contribuait pour 24% dans le PIB : sa part tombe à 14% dans les années 2000. Ce processus mortifère de désindustrialisation procède d’un choix de l’oligarchie capitaliste et ne doit pas être perçue comme une « erreur » de politique économique ou comme un simple effet de la mondialisation. En réalité, la désindustrialisation est le résultat du mode de production capitaliste, à un stade avancé de son évolution où domine le capitalisme financier.

La France a perdu 2,8 millions d’emplois industriels en 50 ans.
Dans le mode de production capitaliste, l’accumulation du capital se fait par l’extraction de la plus-value à travers l’exploitation des travailleurs. À mesure que le capitalisme se développe, il cherche sans cesse à accroître son taux de profit. Cela conduit à une pression constante pour réduire les coûts de production, notamment les salaires et les cotisations sociales et fiscales.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la désindustrialisation : les capitalistes, dans leur quête de profits toujours plus élevés, délocalisent les activités industrielles vers des pays où la main-d’œuvre est encore bon marché, où les réglementations sociales et environnementales sont plus laxistes, et où les droits syndicaux sont quasi inexistants. Ce phénomène n’est pas une trahison « morale » du capitalisme : c’est sa logique intrinsèque.
La conséquence est une division internationale du travail, organisée non pour répondre aux besoins humains, mais pour satisfaire la soif de rentabilité des grandes firmes transnationales.
Le rôle de l’Etat dans cette stratégie
L’État français, qui prétend défendre les intérêts du plus grand nombre en se positionnant au-dessus des classes, n’a en réalité jamais été neutre. Il est l’instrument politique de la classe dominante, c’est-à-dire la bourgeoisie. Pour preuve, au lieu de défendre l’appareil productif national au nom de l’intérêt général, l’État aujourd’hui accompagne la financiarisation de l’économie et subventionne les grands groupes, même lorsqu’ils licencient ou ferment des usines. Les politiques de dérégulation, de privatisation (EDF, France Télécom, Arcelor, etc.) et de libre-échange sont autant de choix qui organisent la désindustrialisation, au profit de cette même bourgeoisie.
Les exemples sont nombreux : Alstom, Renault, ArcelorMittal, Whirlpool, Metaleurop, Bridgestone… Autant de cas où l’État a accompagné la destruction des sites rentables au nom de la « compétitivité », c’est à dire des exigences de rentabilité de leurs actionnaires. Par ailleurs, les politiques de libre-échange, les traités européens, la privatisation des services publics industriels (télécoms, énergie, transports) ont accéléré le processus de désindustrialisation, toujours au bénéfice de cette bourgeoisie.
Subventions, dividendes et évasions fiscales
Ces dernières années, de plus en plus de subventions, d’exonérations d’impôts, de baisses de cotisations sociales ont été offertes au patronat, sans aucune contrepartie ! Bénéficiant d’une imposition moyenne de seulement 4%, les multinationales et entreprises du CAC 40 versent ainsi à leurs actionnaires ces impôts et cotisations qu’ils n’ont pas payés.
Le chiffre de 211 milliards d’euros d’aides publiques annuelles aux entreprises vient de tomber avec le rapport de la Commission d’enquête menée par le sénateur Fabien Gay (PCF). Cela révèle l’ampleur du vol des ressources de l’État par une oligarchie capitaliste avec la complicité du gouvernement, tandis qu’au même moment le premier ministre BAYROU demande aux français de régler la note en imposant une année blanche avec le budget de 2026, c’est à dire un gel des dépenses publiques. Ce projet budgétaire va jusqu’à supprimer 2 jours fériés et monétiser la 5ème semaine de congés payés !
C’est une véritable déclaration de guerre à la classe ouvrière et aux classes populaires !
Fuite du capital hors de la production
Les années 80 marquent un tournant majeur : le capital, s’orientant complètement vers la spéculation financière, entre dans une logique de rentabilité immédiate pour satisfaire les appétits des actionnaires, en réduisant la part des salaires et de l’investissement dans l’outil productif.
On ferme des usines, on licencie, non parce que l’activité n’est pas rentable, mais parce qu’elle ne l’est pas assez : au regard des attentes des actionnaires, elles sont devenues de vulgaires machines à profit. Si, dans les années 1980, les dividendes représentaient moins de 5% de la richesse créée, sa part est passée à 25% en 2020. Ce phénomène a transformé les grandes entreprises industrielles françaises en machines à dividendes au mépris total du développement économique et social. Le capital se détourne de la production pour chercher des rendements à très court terme sur les marchés boursiers.
Affaiblissement de la classe ouvrière et destruction du tissu social
La désindustrialisation dépasse de loin la question économique, c’est une attaque frontale contre la classe ouvrière.
Les grands secteurs de concentration ouvrière tels que la métallurgie, le textile, la chimie, l’automobile ou la sidérurgie ont historiquement été le cœur des luttes sociales, des syndicats de combat et des mouvements révolutionnaires. En détruisant ces bastions industriels, les capitalistes ont affaibli la capacité d’organisation et de résistance des travailleurs.
Dans les territoires touchés par la désindustrialisation comme les Hauts-de-France, la Lorraine, la Normandie, etc., les effets sont dévastateurs : chômage massif, précarité, perte de repères, explosion des maladies sociales, désespoir et montée de l’extrême droite. Le capital n’a laissé que des ruines, tout en continuant à engranger des profits gigantesques : la France est le pays qui détient le record en termes de dividendes dans l’Union Européenne !
Suite à cette désindustrialisation, le capitalisme a réorienté les travailleurs dans les services, les plateformes numériques ou les emplois précaires, tertiarisant l’économie nationale et la rendant dépendante économiquement.
Une réponse marxiste à cette désinstrialisation
Rompre avec le capital et pas simplement « relocaliser »
Face à cette situation, la réponse ne peut pas se limiter à des appels à « relocaliser l’industrie » si c’est pour la remettre entre les mains de ces mêmes actionnaires. Une véritable alternative marxiste doit poser la question du pouvoir, avec par exemple :
★ La reconquête d’une souveraineté industrielle et sanitaire via la nationalisation des secteurs stratégiques indispensables au pays, sous contrôle ouvrier. Cela concerne l’énergie, l’armement, la métallurgie, la pharmacie, les transports, l’eau, l’automobile et d’autres encore.
★ Une planification démocratique de la production, orientée vers les besoins sociaux et écologiques et plus jamais vers le profit. De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins, disait Marx. C’est la voie de la raison.
★ Une réduction drastique du temps de travail, sans perte de salaire.
★ Une réorganisation du territoire pour reconstruire les bassins industriels, redonner du sens au travail à travers sa fonction sociale, réimplanter des unités productives au service des besoins de la population.
★ Une orientation de la production des richesses en fonction des besoins de l’ensemble de la population, via la reconstruction d’un vrai service public.
Pour cela, il faut renverser le pouvoir de la bourgeoisie, et rompre avec les logiques capitalistes de propriété privée des grands moyens de production et d’échanges. Cela implique inéluctablement de sortir de l’Union Européenne.
Un choix de société et pas une fatalité
La désindustrialisation est le résultat de choix politiques et économiques, faits dans l’intérêt d’une minorité capitaliste contre les classes laborieuses représentant l’immense majorité. Elle n’est pas une fatalité. Elle doit être le début d’une prise de conscience de classe, à condition que les travailleurs comprennent qu’il ne s’agit pas de revenir au capitalisme des Trente Glorieuses, mais d’en finir avec le système capitaliste tout court.
La désindustrialisation est un symptôme, le mal c’est le capitalisme et la solution c’est la révolution
Nous devons construire une société où l’industrie est basée sur une émancipation de classe, où elle serait au service du peuple et non au service des actionnaires. C’est là que se joue l’alternative révolutionnaire : pour un projet de société avec une économie socialiste, démocratiquement planifiée, pilotée par et pour les classes populaires.

